CHAD - Les substrats coutumiers européens

La référence aux « racines de l’Europe » est devenue courante, mais trop souvent elle sonne comme un passage obligé qui se réfère à une histoire convenue. Il n'est certes pas faux d’affirmer, comme le faisait par exemple Paul Valéry, que l’Europe s'est construite autour de trois influences : celles de la Grèce, de Rome et du christianisme. D’autres composantes ont cependant contribué à façonner l’Europe et toute une partie de son histoire est encore à faire, plus particulièrement son histoire juridique. C’est une partie de cette autre histoire, insistant sur les substrats coutumiers qui ont modelé, dans le long temps de l'histoire, le paysage normatif européen, qui est au cœur des activités du CHAD. Cette question fut l’objet du cycle de séminaire organisé conjointement par la Maison Française d’Oxford, le CHAD et All Souls college (University of Oxford) durant l’année 2013, à l’initiative de Boudewijn Sirks (Regius Professor, All Souls college) et Soazick Kerneis (Paris Nanterre, CHAD) et auquel ont participé trois membres du CHAD. Les actes sont parus dans la revue électronique clio@themis : La forge du droit. Naissance des identités juridiques en Europe. (IVe-XIIIe siècles) www.cliothemis.com › Clio@Themis numéro 10, 2016. C’est aussi cette question des substrats coutumiers qui est traitée dans le volume de la Nouvelle Clio paru en mars 2018, Une histoire juridique de l’Occident. Le droit et la coutume (IIIe-IXe siècle), dir. S. Kerneis (chapitres de C. Archan (droit celtique et anglo-saxon, Aram Mardirossian (droit canonique) et S. Kerneis (droit de l’Antiquité tardive), J.-P. Poly (Haut Moyen-Age).
Les différentes contributions visent à interroger, en l’historicisant, le legs du « droit romain », à remettre en cause le concept de coutume tel qu’il a été construit en droit romain, puis diffusé par la vulgate juridique, bref à questionner Le radici del mundo giuridico europeo, pour reprendre le titre de Maurizio Lupoi en 1994.
Sans doute, partout dans la « vieille Europe », l’influence du droit romain est sensible, diffusant une certaine représentation de la vie politique et juridique, centrée sur l’idée que l'individu, la personne, est, ou est supposé être, maître de ses actes. L’importance accordée au sujet de droit est manifeste dans la définition que donnait Ulpien de la justice, qui sera reprise dans les écoles de droit jusqu’au XIXe siècle : « La justice, c’est la ferme et constante volonté d’attribuer à chacun son droit ».
Tout cela est bien connu et nul ne songerait à le contester. Mais les Etats membres, les nations, ou les groupes qui composent l’espace européen ont chacun leur histoire ou leur pseudo-histoire, leur mémoire. Faut-il éliminer ces histoires, modéliser le passé, le formater pour parvenir à une mémoire homogène ? Les difficultés des juristes à construire un droit européen illustrent la diversité des cultures juridiques, l’attachement des nations à leurs droits et aux traditions qui les fondent. La construction d’une « identité multiple » européenne passe par la promotion d’une culture commune, mais celle-ci peut-elle être commune sans prendre en considération les diverses traditions des peuples qui composent la communauté ? Si l’on veut promouvoir une culture juridique commune, il faut mesurer les spécificités nationales, les processus historiques complexes par lesquels se sont construits les droits de l’Europe, en bref, comme y invitent Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, déconstruire les mythes qui emprisonnent les histoires juridiques nationales.
 

Mis à jour le 25 novembre 2018