Deux droits de « l’Europe périphérique ».

Deux droits de « l’Europe périphérique ».

 

L’ambition d’un droit européen, notamment d’un droit privé européen, existe. Mais force est de reconnaître que le processus d’harmonisation des normes est difficile. La doctrine, ou une partie de la doctrine, s’attache à dégager à tout le moins un socle commun de principes ou de règles applicables. C’est sans doute dans ce contexte que s’épanouit aujourd’hui une réflexion nouvelle autour du moment historique qui vit la bipartition des corps de droit, d’un côté les droits revendiquant l’héritage romain, de l’autre la/le common law. A l’instar d’autres équipes de recherche, le CHAD entend mieux comprendre ce processus fondamental qui voit le système juridique anglais diverger des modèles continentaux.

 

Christophe Archan en a fait son domaine de spécialité et des doctorants travaillent sous sa direction à ce projet. L’enquête est centrée autour du contexte institutionnel et de façon plus fondamentale s’attache au discours juridique, les règles de procédure induisant l’évolution de la langue, la création de nouvelles catégories juridiques. Mais il ne faudrait pas que la diversité européenne masque la complexité du processus en oubliant la richesse des cultures de nations européennes géographiquement, mais non intellectuellement, périphériques. On sait que le droit de Common Law a influencé bien d’autres droits dans le monde, à commencer par le droit irlandais. Mais l’un des axes de l’enquête de Christophe Archan est de se demander si l’inverse n’a pas été vrai, si le droit irlandais, droit insulaire très développé au VIIe siècle, ne permet pas de mieux comprendre la formation de la Common Law. L’Irlande du premier Moyen Age, on le sait, a participé à la vie intellectuelle du continent. A cet égard, l’influence des lettrés irlandais est fondamentale dans la fabrique d’une partie des institutions et du droit de l’empire carolingien. Cette influence est souvent occultée, sans doute à cause de la difficulté d’accès des sources. Après une solide formation linguistique auprès du maître en la matière, P. Y. Lambert, Christophe Archan a entrepris de traduire et d’étudier une partie du vaste corpus juridique laissé par les juristes irlandais médiévaux : plus de 2300 pages de traités en Irlandais ancien (édition diplomatique), sans compter les nombreux textes juridiques ecclésiastiques en hiberno-latin (Collection canonique, pénitentiels …). Projet de longue haleine qui nécessitera plusieurs années.

 

Avec des préoccupations semblables, Nathalie Kalnoky entend réévaluer la portée du droit romain dans une des nations du royaume hongrois. Le projet actuel porte sur les choix de réemploi de termes latins classiques par les clercs transylvains du XIIIe-XIVe siècle pour nommer des gens et des faits qui leur sont contemporains (à commencer par la nation étudiée elle-même, Székely en hongrois, devenus Siculi dans les documents, sans aucun lien avec les habitants de l’ancienne Sicile, et Sicules en français). Quelles étaient les sources littéraires de ces lettrés ? L’inspiration du modèle carolingien pour de nombreuses institutions hongroises fut revendiquée par les souverains euxmêmes. Au XVIe siècle, István Werbőczy, le plus grand juriste du royaume a été très inspiré par ses études de droit pour établir son Opus tripartitum qui ouvre le Corpus Juris Hungarici mais jusqu’à quel point les éléments du droit romain étaient-ils connus en Transylvanie ? S’agit-il d’un simple vernis formel transposé, quand cela semblait possible, à des coutumes dont la logique juridique était autre ? Sans préjuger des réponses qu’apporteront ce travail, il se veut une pierre apportée à l’édifice d’analyse des droits européens et, sans pouvoir parler de réception du droit romain pour la Hongrie médiévale, de l’influence du droit romain sur leur construction.

 

Mis à jour le 02 mai 2016